Bonjour !

Je suis écrivain et scénariste de BD.
Mon premier livre est sorti en 2009. Depuis, j'en ai sorti 22 autres... Je travaille aussi pour le ciné, la télé, le jeu vidéo, les applications et même le jeu de plateau.
Car pour toutes ces créations, il y a besoin d'écrire. Donc j'écris. Depuis le temps que j'en rêvais !

Et pourtant bien souvent je l'entends, cette question étrange : "Et sinon, vous avez un vrai métier ?".
Elle me fait un drôle d'effet et je n'ai pas encore trouvé comment y répondre... Alors ce blog va servir à ça : à essayer d'expliquer que oui, écrivain et scénariste, c'est un métier, un vrai.

mardi 29 juillet 2014

Le juste prix

Auteur, c'est une profession indépendante.
Comme les artisans, les libéraux, les commerçants.
Mais il y a une grosse différence entre l'auteur et tous ceux là : pour lui, c'est le client qui fixe le tarif. Pas l'état, comme dans les professions à tarifs réglementés, non, non, celui qui fixe le tarif, c'est bien le client, c'est à dire l'éditeur.

Le système de rémunération des auteurs pourrait être comparé à celui des agriculteurs que le "marché" oblige à vendre leur production à perte.
Mais c'est même encore pire : car l'auteur n'a pas la possibilité de faire de la vente directe, de s'assurer en cas d'arrêt de sa série, de faire appel aux banques ou de toucher des aides de l'état ou de l'Europe (même si une quarantaine de bourses d'écriture de 3.500, 7.000 ou 14.000 € sont versés par le CNL à des auteurs BD chaque année).

Mais pour ne plus travailler à perte, pour toucher enfin le juste prix, que faudrait-il faire ?
Et si nous faisions comme la plupart des autres professions indépendantes, ça donnerait quoi ?

Et si l'auteur faisait un devis ?

On ne dit pas à un électricien "Vous allez refaire toute l'électricité de la maison et je vous donne  1.000 euros" ou au garagiste "Vous me changez la boite de vitesse de la bagnole et je vous donne 400 euros". Non, on lui demande un devis.

L'auteur n'est pas très différent de l'artisan et il pourrait fournir un devis au potentiel éditeur, avec son dossier pour un projet perso, ou lors d'une commande. Ainsi ce serait l'auteur qui fixerait son prix, libre au client de l'accepter ou pas. Les échéances seraient également fixées par l'auteur. Car travailler sur un projet en 2014 pour toucher des droits en 2017 ou en 2018, ce n'est pas acceptable.

Et si on payait ses frais à l'auteur ?

Ce devis devrait comprendre d'abord des frais non aliénables aux droits :
- Les frais de structure : car l'auteur paye son atelier, son assurance, ses frais d'énergie, ses frais d'abonnement téléphone pro et internet, son matériel informatique et autre, ses frais de gestion et de comptabilité, etc.
- Les frais afférents au projet : recherches, documentation, réunions éventuelles, établissement de dossiers, frais de déplacements, frais d'envoi, etc.
- Le paiement des textes et des visuels qui seront utilisés à des fins publicitaires, en particulier la couverture qui servira à TOUS (éditeur, diffuseur, libraire...) pour vendre le livre et qu'on retrouvera un peu partout (internet, catalogues...) pour soutenir la vente du livre.

Ces trois paiements n'ont rien à voir avec les droits d'auteurs. Ils sont payés sur facture et ne dépendent en rien de la vente ou même de l'existence du livre.

Et si l'auteur touchait ses droits sur le tirage ?

Ensuite, les droits d'auteurs :
Ils devraient être payés non pas sur les ventes, mais sur le tirage.

Si l'éditeur tire 6.000 exemplaires, il paye les droits sur 6.000 exemplaires ! Pourquoi faire porter à l'auteur un échec commercial ? Le travail de l'auteur n'a rien de commercial. Quand il paye des droits, l'éditeur achète le droit d'exploitation d'une œuvre, pas son potentiel de vente ! 
Si l'éditeur signe, c'est qu'il pense que ça va marcher. S'il se trompe, à lui et aux autres acteurs de la chaîne commerciale du livre d'en supporter les conséquences.
 
De plus le tirage est déclaré à la BNF. Il est donc facilement contrôlable.
Et bien, sûr, en cas de réimpression, même chose avec des droits re-négociables.

Et l'auteur touche bien sûr des droits sur les exemplaires distribués gratuitement (sauf les siens) ! Il n'a pas à supporter le coût de la promotion ! Un commerçant qui décide de lancer une opération 2 achetés = 1 gratuit, par exemple, ne fait pas supporter le coût de son opération à son fournisseur !

Et si on payait à l'auteur son travail de promotion ?

Enfin les frais de promotion. La tournée des festivals qui suit la sortie d'un titre est effectuée bénévolement par l'auteur. Pourquoi donc ? Toutes les personnes qui participent à la vente du titre sont rémunérées et pas lui !!! Et qu'on ne me dise pas qu'il est payé en droits d'auteurs. Ces droits payent son travail d'auteur et pas un travail supplémentaire de vendeur.

L'auteur doit facturer les jours passés en festival pour la promotion du titre.

Un magasin qui prend un animateur pour promouvoir le foie gras pendant les fêtes paye l'animateur, non ? Hé bien là, c'est pareil. Et ça tombe bien, la charte des auteurs et des illustrateurs a prévu un tarif pour les signatures : 205,00 € par jour.

 Allez ! Un petit exemple !

Voilà un petit exemple de devis. 46 planches, scénar et dessin.

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DEVIS
Concernant le réalisation d'un album de BD de 46 planches.
Durée prévue de la réalisation 10 mois.

Frais de réalisation
Frais de structure (atelier, charges, matériel...) = 400,00 € x 10 mois = 4.000,00 €
Frais afférents au projet (recherche, documentation...) = 500,00 €
Paiements des visuels qui seront utilisés à des fins publicitaires : 1.000,00 €
Total des frais de réalisation : 5.500,00 €
Payable aux dates suivantes : 40% à la commande, 30% à la livraison, 30% à la sortie de l'album.

Droits d'auteur sur le premier tirage
Premier tirage déclaré : 6.000 exemplaires – 20 gratuits auteurs = 5.980 exemplaires
Prix de vente public HT : 13,27 €
pourcentage de droits payés à l'auteur sur le PVHT : 8 %
5.980 exemplaires x 13,27 x 8 % = 6.338,80 €
Total des droits d'auteurs sur le premier tirage : 6.338,80 €
Payable aux dates suivantes : 30% à la commande, 30% à la livraison, 20% à la sortie de l'album, 20% à date de sortie + 1 an.
Tout retirage ou réimpression fera l'objet d'une nouvelle négociation des droits.

Frais de promotion
Si, pendant les 6 mois suivants la sortie de l'album l'auteur est amené à participer à des séances de dédicaces ou de signatures en librairie, en bibliothèque, en médiathèque, en salon, en festival, etc., il sera rémunéré sur la base du tarif de la charte des auteurs et illustrateurs.
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Pour un livre vendu 14 € et tiré à 6.000 exemplaires, ça donne donc 13.116,20 € pour l'auteur, plus le paiement des séances de dédicaces...
Pour 10 mois de travail, c'est pas énorme, mais c'est bien mieux que ce que décroche la plupart d'entre nous la plupart du temps !

Et bien sûr, en cas de retirage, on renégocie les droits, ça n'interdit pas le succès, au contraire, puisque, à l'inverse du système actuel d'avances, l'éditeur a intérêt à vendre le plus de livres possibles afin de diluer au maximum les 6.000 € non dépendants des ventes et le montant des droits versés sur les albums gratuits, défectueux ou abimés...

Tout cela n'est qu'indicatif. Essayez donc de faire votre propre devis avec vos propres chiffres, et vous verrez bien ce que ça donne pour vous !

L'éditeur est notre client ! 

Présenter les choses comme cela aurait le mérite de remettre l'éditeur à sa place de client de l'auteur, de lui faire payer un prix plus juste pour notre travail. Rémunérer l'auteur sur la totalité d'un tirage l'obligerait à devoir tenter de vendre le titre, à le défendre au mieux, à allonger sa durée de vie. Cela éviterait aussi le sur-tirage qui conduit un nombre considérable de livres au pilon.

Mais ça, c'est une autre histoire.
Je ferai un article un de ces jours sur la perversité d'un système dans lequel les (gros) éditeurs n'ont même plus vraiment besoin de vendre de livres...