Bonjour !

Je suis écrivain et scénariste de BD.
Mon premier livre est sorti en 2009. Depuis, j'en ai sorti 22 autres... Je travaille aussi pour le ciné, la télé, le jeu vidéo, les applications et même le jeu de plateau.
Car pour toutes ces créations, il y a besoin d'écrire. Donc j'écris. Depuis le temps que j'en rêvais !

Et pourtant bien souvent je l'entends, cette question étrange : "Et sinon, vous avez un vrai métier ?".
Elle me fait un drôle d'effet et je n'ai pas encore trouvé comment y répondre... Alors ce blog va servir à ça : à essayer d'expliquer que oui, écrivain et scénariste, c'est un métier, un vrai.

mercredi 16 juillet 2014

Histoire de Robert

Robert, auteur de BD a une idée géniale. 
Il écrit un synopsis formidable, créé des personnages et quelques décors magnifiques car il a un coup de crayon extraordinaire. C'est tellement bien qu'il décide d'envoyer un dossier à deux ou trois éditeurs dont il a les coordonnées et qui devraient être intéressés par ses petits miquets. 

Robert fait un dossier

Pour le dossier, il a le synopsis et ses recherches persos et décors. Bien, mais pas suffisant.
Il va faire trois petites planches, histoire que les destinataires voient bien qu'ils ont devant les yeux LA BD de l'année.
Pour faire ces trois planches, Robert a besoin d'un scénario, le bougre !  Faut que ça tienne la route !
Il l'écrit. Le réécrit. Le corrige. Le peaufine.
Il fait ses trois planches. Bien léchées, belles comme tout...
Et il envoie le dossier.

Robert a un rendez-vous

Chose extraordinaire, un des éditeurs lui répond, enthousiasmé.
Rencontre. Proposition de contrat. 
Robert touchera 8% de droits (bruts) et aura une avance sur droits de 10.000 € (bruts aussi). 
Robert rentre chez lui, tout content.

Dans le train, car Robert est un auteur provincial, il réfléchit. Et il se met à compter, car, quand il prend le train, il n'oublie jamais sa calculette.
Il a déjà bossé à peu près deux mois sur sa BD. Pour la faire entièrement, il va lui falloir 8 mois environ, car il bosse vite, notre Robert. A la sortie du livre, il perdra bien 1 mois de travail à courir les salons et les dédicaces sans rémunération. Alors il compte. 
10.000 € d'avances sur droits / 11 mois de travail = 909 € par mois
smic = 1450 € par mois

Robert et les droits d'auteur

Mince ! Il croyait avoir fait une bonne affaire, mais il va gagner bien moins que le smic.
Pas grave, car il reste les droits. L'éditeur, prolixe, lui a donné plein d'éléments très pratiques quand on a une calculette : son album sera tiré à 10.000 exemplaires (pas mal) et vendu 15 €.
Calculette ! Pour chaque album vendu, Robert touchera 8% du prix de vente hors taxe.
15 € - 5,5% = 14,22
8% de 14,22 € = 1,14 € de droits par album vendu

Un autre petit calcul lui apprend qu'il ne touchera de droits d'auteur qu'au 8.773° album vendu. Autrement dit, en prenant en compte les exemplaires distribués gratuitement et les exemplaires qui passeront en défraîchis après retour, la totalité du tirage... Donc, sur ce premier tirage, il ne touchera jamais de droits...

Robert rêve au succès

Mais dans son train, il se prend à rêver, Robert. Il rêve au succès: Un démarrage fulgurant de l'album, Une réimpression à 20.000... Et dans son rêve il pianote sur une calculette.
Au total 30.000 ventes sur l'année qui lui rapporteront 22 800 € de droits supplémentaires...Ca change la donne ! Avec sa BD il gagnera (brut toujours) :
10.000 d'avance + 22.800 de droits = 32.800 €
32.800 € / 11 mois de boulot = 2.982 € par mois

Robert, auteur de BD, pauvre et précaire

Dans son rêve, il se voit déjà riche, notre Robert ! Mais un bébé qui pleure (il y a toujours un bébé qui pleure, dans les trains qui filent vers la province) l'éveille.
Et il retombe brutalement dans la réalité. Il sait bien que dans la réalité, il ne vendra pas 30.000 albums. Il sait bien que l'éditeur ne réimprimera pas. Il sait bien qu'il ne touchera jamais de droits sur ce projet.

Il pense à tout laisser tomber, à faire autre chose, n'importe quoi. Mais ce projet, il y tient. Et puis, écrire et dessiner des bd, c'est son métier, c'est à peu près tout ce qu'il sait faire et il le fait bien. 
Alors Robert se dit que c'est pas grave, il dénichera quelques boulots d'illustration, quelques créations d'affiches, quelques interventions dans les écoles... Du coup, sa BD lui prendra un ou deux mois de plus, mais ça arrangera un peu les finances...

Dans son train, Robert range sa calculette. Il sort son carnet de croquis et ses crayons et il se met à dessiner. Parce s'il veut les gagner, ses 909 € par mois, il n'a pas de temps à perdre !