Bonjour !

Je suis écrivain et scénariste de BD.
Mon premier livre est sorti en 2009. Depuis, j'en ai sorti 22 autres... Je travaille aussi pour le ciné, la télé, le jeu vidéo, les applications et même le jeu de plateau.
Car pour toutes ces créations, il y a besoin d'écrire. Donc j'écris. Depuis le temps que j'en rêvais !

Et pourtant bien souvent je l'entends, cette question étrange : "Et sinon, vous avez un vrai métier ?".
Elle me fait un drôle d'effet et je n'ai pas encore trouvé comment y répondre... Alors ce blog va servir à ça : à essayer d'expliquer que oui, écrivain et scénariste, c'est un métier, un vrai.

dimanche 28 septembre 2014

De toutes les couleurs !

Bon mois, ce mois de septembre ! Deux nouveaux bouquins sortis.
Deux commandes typiquement angoumoisines (hé oui, c'est comme ça qu'on appelle les habitants de notre bonne ville d'Angoulême) : "Le Circuit des Remparts", un livre qui mêle BD et photos de l'age d'or du... ...Circuit des Remparts (une course automobile dans les rues d'Angoulême) et "Histoire(s) d'Angoulême, tome 2" qui comme son nom l'indique est le second opus d'une BD historique sur Angoulême.
Les deux albums sont édités par un nouvel éditeur d'Angoulême : "Le troisième homme". A suivre.

Voilà. En une courte intro, j'ai placé 5 fois Angoulême. Pas mal, non ?!

Mais tout ça n'a rien à voir avec mon sujet du jour, ce n'était qu'un petit paragraphe d'autosatisfaction. Non, mon sujet du jour, c'est un sujet plutôt brûlant dans le petit monde de la BD :

LES COLORISTES !!!

Je n'aborderai ici que la partie rémunération des coloristes... Il faudrait quelques autres articles pour parler des essais, des tarifs généralement pratiqués, du temps de travail par planche, etc, etc, etc... Ça viendra peut-être plus tard !

Les coloristes sont-ils des auteurs ?

La couleur fait évidemment partie intégrante d'une œuvre d'art. Pour s'en convaincre, regardons un "petit" Van Gogh :
La chambre de Van Gogh à Arles
Si la couleur n'avait pas fait partie de l’œuvre, alors Vincent aurait fait quelque chose qui ressemblerait à ça :

En gros, du dessin. C'est bien, mais c'est autre chose...

En bande dessinée, on a le choix : on peut faire des albums en noir et blanc, il y en a plein, romans graphiques, mangas, strips, ou des albums en couleurs. Poser la couleur est une vraie création. Les coloristes ne font pas de la peinture au numéro. Ce sont évidemment des artistes.
Si, en bande dessinée on peut considérer l'encrage et le lettrage comme des métiers purement techniques (quoi que...), ça parait totalement incongru et impossible avec la couleur, et ce quel que soit le style de l'album.

Quand on fait un album avec des couleurs, on a donc trois métiers d'auteurs : le scénariste, le dessinateur et le coloriste. C'est 3 métiers peuvent être exercés par une seule personne ou par deux, ou par trois. La suite de mon article partira du cas où il y a trois auteurs, histoire de simplifier la démonstration.

3 métiers, 3 auteurs...

Très bien. C'est réglé. 3 métiers, 3 auteurs donc. 
Ces trois personnes devraient donc être toutes payées en droit d'auteurs à ÉGALITÉ. Le principe d'égalité doit être indissociable du droit d'auteur car qui peut dire ce qui fait la "qualité" (et le succès) de l’œuvre ? Le scénario, le dessin, la couleur ? C'est un ensemble qui ne peut pas être dissocié. Astérix aurait peut-être été un échec total si les braies d'Obélix avaient été vertes...

Ainsi donc, dans un monde idéal, si l'éditeur verse, par exemple, 12% du prix HT de la BD en droits d'auteurs, cela devrait faire 4% pour chacun. C'est clair et égalitaire. 
Les avances sur droits peuvent être différentes pour chacun, par contre, puisque les temps de travail sont différents selon les compétences et les métiers, mais au final chaque auteur touchera la même chose sur les ventes de l'album. 

Certains objecteront que le dessinateur doit toucher plus que le coloriste qui doit lui même toucher plus que le scénariste. Je suis d'accord avec ça, mais la différence ne doit pas se faire au niveau des droits. Ce qui doit faire la différence, c'est un paiement au forfait (sans incidence sur les droits) d'une part de travail technique qui inclut recherches, documentation, essais, matériel, frais, etc.
Cette part n'est quasiment jamais versée et les auteurs ne disent rien car ils ont l'impression que l'avance sur droits la couvre. C'est faux, l'avance sur droits se remboursant sur les ventes de l'album. 
Dans le système actuel, les auteurs payent la part de risque de l'éditeur (si l'album ne se vend pas) en lui offrant les coûts techniques de fabrication de l’œuvre. Mais ça, c'est une autre histoire...

Comment sont payés les coloristes ?

Il existe deux grandes formes de rémunération des coloristes :
                              cas 1 - paiement en fixe, au forfait, sans droits 
                              cas 2 - paiement aux droits d'auteurs

 cas 1 - Quand le coloriste n'a pas droit au succès...

Le coloriste touche une somme forfaitaire et il ne touchera rien de plus, quelles que soient les ventes de l'album. Il signe donc, de fait, par contrat, un abandon de droits.  En général, le contrat indique alors "mise en couleurs BD au forfait" ou "règlement au forfait". Il semble que la plupart du temps le contrat ne stipule même pas qu'il s'agit de mise en couleurs...

Dans ce cas, le coloriste est bien rémunéré en droits d'auteurs, l'Agessa reconnait d'ailleurs cette forme de revenus comme du droit d'auteur.
Mais l'abandon de droits doit être assujetti à une durée et/ou à un tirage. Il semble que ce n'est jamais le cas car alors l'éditeur serait obligé de rémunérer à nouveau le coloriste lors d'un nouveau tirage par exemple...

Ainsi, avec ce mode de paiement, un coloriste payé 100 € la planche pour un 46 planches touchera 4.600 € bruts pour un album. Si l'album se vend à 10.000 exemplaires, il aura touché 0,46 € par album. A 30.000 exemplaires, 0,15 €, à 50.000, 0,09 €...

A moins qu'en cas de gros succès l'éditeur ne renégocie le contrat avec le coloriste (ça doit arriver, j'espère), pas de droit au succès, effectivement.

cas 2 - Quand scénariste et dessinateur payent la couleur...                             

Le coloriste touche une avance sur droits. Lorsqu'il l'a remboursée sur les ventes, il touche des droits. C'est le système classique de rémunération des auteurs.

Mais le coloriste n'est pas un auteur comme les autres : c'est un sous-auteur. La plupart du temps sa part de droits ne sera que de 10% du total des droits !!! Soit 0,8 à 1,5% du prix de vente hors taxe ! Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'y a pas de respect de l'égalité des droits d'auteurs...

En reprenant l'exemple du paragraphe précédent du coloriste qui a touché 4.600 €, si l'album est vendu 15 € TTC, le coloriste aura remboursé son avance sur droits après environ 32.000 ventes. Il touchera ensuite 0,14 € bruts par album vendu.
C'est un peu mieux que dans le premier cas, mais ça n'est pas beaucoup !

Mais le vrai scandale est ailleurs : le scandale, c'est que ce petit 1% versé au coloriste est le plus souvent prélevé sur la part de droits des autres auteurs. Ils abandonnent par exemple chacun 0,5%, qui sont versés au coloriste.

Dans ce cas, l'éditeur ne paye donc pas le coloriste. Le scénariste et le dessinateur s'en chargent. Un scandale, je vous dis.

Quelles solutions ?

On l'a bien compris, le coloriste  est le travailleur le plus pauvre, le plus précaire du monde de la BD (et ce n'est pas peu dire !).

Il y aurait pourtant des solutions simples pour que ça change !
- payer aux auteurs une part technique du travail, telle que je l'ai décrite au début de cet article.
- payer des droits égalitaires aux auteurs, respectant ainsi l'esprit de la loi française sur les droits d'auteurs.

Chacun des trois auteurs, dans ce système, toucherait donc un forfait technique, une avance sur droit selon le temps de travail, puis, une fois l'avance remboursée, un tiers des droits négociés ensemble, en toute transparence.

Alors, bien sûr, cela coûterait plus cher aux éditeurs. Beaucoup plus cher, même, puisque dans le système actuel, la plupart du temps, le coloriste ne leur coûte rien !

Bien sûr, ça leur demanderait de vendre leurs albums, de les défendre, de les promouvoir. Ça leur demanderait de payer honnêtement les auteurs et de rémunérer leurs frais techniques. Ça leur demanderait de respecter l'esprit de la loi. Ça leur demanderait de considérer un peu les auteurs.

Bien sûr...
Mais n'est-ce pas justement ça, le métier d'éditeur ???