Bonjour !

Je suis écrivain et scénariste de BD.
Mon premier livre est sorti en 2009. Depuis, j'en ai sorti 22 autres... Je travaille aussi pour le ciné, la télé, le jeu vidéo, les applications et même le jeu de plateau.
Car pour toutes ces créations, il y a besoin d'écrire. Donc j'écris. Depuis le temps que j'en rêvais !

Et pourtant bien souvent je l'entends, cette question étrange : "Et sinon, vous avez un vrai métier ?".
Elle me fait un drôle d'effet et je n'ai pas encore trouvé comment y répondre... Alors ce blog va servir à ça : à essayer d'expliquer que oui, écrivain et scénariste, c'est un métier, un vrai.

mercredi 25 juin 2014

Colomiers 2014

J'adore le festival BD de Colomiers...

Un salon plein d'indépendants

Je l'attends chaque année avec impatience, ce week-end de mi-novembre ! J'y vais avec ma minuscule maison d'édition Comme une orange.
Car Colomiers, c'est avant tout un rendez-vous d'éditeurs indépendants, petits ou moins petits. Chacun son stand, des expos, des animations...

Hôtel et karaoké

Et puis, bien sûr, il y a les plus du festival :
L'hôtel toujours aussi introuvable, même après trois participations. La soirée karaoké du vendredi dans un resto-buffet chinois géant. La soirée qui réunit tout le monde le samedi.

La plus belle affiche de l'année

 (avis perso, bien sûr)
Bref, j'aime bien le festival de Colomiers.
Mais c'est pas tout ça. Cet article, c'était pour vous dire qu'aujourd'hui, ils ont posté l'affiche de l'édition 2014. Et, nom de dieu, elle est drôlement belle !

Vivement novembre !

affiche de Jon McNaught      http://jonmcnaught.co.uk/

dimanche 22 juin 2014

Spéciale dédicace.

Beaucoup, dans le monde de la BD actuellement en ébullition pensent, que les auteurs devraient être rémunérés pour dédicacer.

Car en effet, la plupart du temps, les auteurs dédicacent bénévolement. Si quelques festivals et salons payent les auteurs invités, le plus souvent ils ne font que leur rembourser leurs frais de déplacements et leur offrir les repas (et l'apéro...). Les auteurs en dédicaces ne touchent donc bien souvent que leurs droits d'auteurs sur les albums vendus et signés.

Il faut signaler aussi que certains éditeurs versent des droits plus élevés sur les albums vendus sur les stands des festivals en présence de l'auteur. Mais cette pratique assez marginale, ne touche que les salons où l'éditeur vend en direct. Et elle ne produit qu'une très faible rémunération supplémentaire.

La dédicace en BD

La dédicace BD a une particularité : elle prend du temps. Parfois beaucoup de temps. Là où un écrivain ou un scénariste va poser sur le papier une simple signature assorti d'un petit mot (parfois un simple "Pour Robert, bonne lecture") le dessinateur va faire un splendide dessin et parfois même le mettre en couleurs. Alors évidemment, faire 20 dédicaces à l'heure, c'est déjà pas mal !
Et c'est un vrai travail !
Marie Deschamps en dédicace au festival d'Angoulême.
Alors ce travail, comment le rémunérer ?

Faire payer la dédicace

On pourrait donc faire payer la dédicace au lecteur.
Bon. Il a déjà payé son ticket d'entrée (quand le festival est payant) et son album. Est-il prêt, le lecteur à payer encore pour un petit dessin ?
Sa dédicace, il la veut. Pour le souvenir, pour la collection ou pour revendre l'album le lendemain sur e-bay... Il sera donc prêt à payer. Mais quel prix ?

Un auteur très coté pourra fixer sans problème son tarif de dédicace à 50 €...
Un auteur inconnu risque de ne plus dédicacer en mettant sa dédicace à 2 €...

Et qui doit fixer le prix ? L'auteur ? L'éditeur ? Le festival ?
Qui doit récupérer le paiement ? L'auteur ? Il deviendra alors dédicaceur-vendeur, devra avoir une caisse sur sa table, devra rendre la monnaie, devra gérer une comptabilité... Est-ce vraiment son métier ?

Et le lecteur, puisqu'il paye sa dédicace ne va-t-il pas devenir exigeant ? Ne va-t-il pas se croire en droit de demander un magnifique dessin entièrement aquarellé et tout et tout ?

Avec les dédicaces payantes, les "petits" auteurs risquent de ne plus dédicacer du tout... Les festivals auront donc tendance à ne plus les inviter (c'est déjà pas facile pour eux aujourd'hui, de participer aux grands salons !). Ils perdront ces occasions uniques de rencontrer et de développer leur public...

Reste une possibilité qui semble moins pénalisante pour le lecteur comme pour l'auteur : laisser le prix de la dédicace libre. On dédicace et le lecteur donne ce qu'il veut... On pourrait (devrait) alors lui expliquer ce qu'est la condition des auteurs de BD et tout et tout.
On ferait la quête, en quelque sorte... Et on aurait vite fait de transformer les festivals en lieu de doléances, de plaintes et de tristesse crasse.

Rémunérer les auteurs

On pourrait payer les auteurs pour qu'ils viennent dédicacer.
Certains le font et un tarif a été posé dans la charte des auteurs et illustrateurs : 205 € la journée.

Pourquoi pas ?
Mais qui payera ? Le festival ? Les éditeurs ? Les libraires (quand il y en a) ?
Comment financer ce coût supplémentaire ?
En augmentant le prix de vente des livres ? En augmentant le prix d'entrée des festivals ? En supprimant l'apéro ?
Je crois qu'on ne peut pas jouer sur ces points sans mettre les festivals BD en grand danger...

Et puis, une fois de plus : quel festival, éditeur, libraire payera un auteur qui dédicace 6 albums dans le week-end ?
On le payera si on s'y est engagé. Mais on ne le réinvitera plus ! 

Un casse tête chinois

A première vue, la dédicace payante semble être une bonne idée.
Mais pour un petit auteur, c'est sans doute la fin des rencontres avec son public...

Le tiers des livres que vendent mes éditeurs est écoulé en festival. Normal. Je suis invisible (voir mon précédent article) et rarement présent dans les librairies.
Si demain les festivals ne m'invitent plus car je ne rembourse pas mes 205 € ou que je fais fuir les clients avec mes dédicaces payantes, je vais perdre un tiers de mes revenus...

Alors, si on veut voir des festivals où il n'y a que des auteurs stars (pourquoi pas après tout ?) mettons en place la dédicace payante ou la rémunération des auteurs.
Si on veut des festivals qui présentent la diversité, qui nous permettent de découvrir des auteurs inconnus (et souvent très talentueux), ne changeons rien !

Merdalor ! Il y a sans doute une solution à ce casse tête chinois...
Vous avez des idées ???

vendredi 13 juin 2014

2 jours, 12 planches...

 

Mon article d'hier est parti sur facebook un peu partout, en particulier sur la fameuse page où grondent la révolte et la résistance des auteurs. Du coup j'ai sur le blog un nombre de vues assez considérable !
Si mes bouquins pouvaient avoir autant de succès ! Mais bon, ça, c'est une autre histoire.

Tant de temps passé sur facebook !

Depuis quelques jours, pas mal d'auteurs de BD, dont je suis, passent beaucoup de temps sur facebook... Ça parle, ça discute, ça échafaude, ça planifie, c'est en colère. Ca plaisante, ça rigole, ça rêve aussi. En gros, c'est TRÈS chronophage.

Du coup, je bosse pas beaucoup et, à mon avis, je dois pas être le seul !
 
Sur facebook, en ce moment, on trouve plein de dessins comme celui-ci

 

Une histoire à écrire

Et ce matin je m'éveille en sursaut. Une seule pensée en tête "Eric, tu as une histoire de 12 planches à livrer lundi !". Les recherches sont faites (c'est de l'historique), mais c'est tout, je n'ai même pas vraiment commencé !

C'est chaud. Mais bon, j'ai 3 jours... 12 planches de scénar en trois jours, ça va le faire.
J'allume l'ordi. je check mes mails et je tombe sur ça :
 
"Bonjour
En vue de votre venue au festival à 2 bulles demain, je vous adresse un
plan général de situation du festival.
A demain
Thierry"
 
Merde ! Un festival ! Demain ! Vérification faite, après invitation informelle lors du festival d'Angoulême, il semble bien que les organisateurs n'ait pas confirmé cette invitation, ou qu'elle est passée en spam, ou que j'ai oublié, ou que...
Pas grave ! J'aime bien le festival de Niort. C'est une bonne nouvelle.
Mais du coup, les 12 planches, c'est en deux jours que je dois les faire !
 
2 jours, 12 planches. Pas de temps à perdre.
Aussitôt, je me mets devant mon ordinateur et j'écris cet article. Parce que, quand même, faut être sérieux dans le respect des délais.

jeudi 12 juin 2014

Le vertige des chiffres

8

On parle beaucoup de chiffres en ce moment dans le milieu de la bande dessinée. En particulier du chiffre 8 à cause des fameux 8% qu'on veut nous faire payer pour notre retraite complémentaire. Ce 8 là va mettre bien des auteurs sur le carreau. Ce 8 là nous met en colère...
Il a le mérite, ce chiffre 8, de nous fédérer, de nous faire nous réunir, nous unir, de nous permettre d'être enfin ensemble et de parler, peut-être, d'une seule voix.

Millions et milliards

Il y a d'autres chiffres qui donnent le vertige. Des chiffres qu'on trouve partout et qui contiennent un nombre hallucinant de zéros : les chiffres du chômage, des bénéfices des entreprises du CAC 40, de la dette. Respectivement 3.364.000, 80.600.000.000 et 1.925.300.000.000...

Mais c'est sur d'autres chiffres que je me suis penché ce matin : ceux du marché de la bande dessinée, grâce en particulier au formidable rapport de Gilles Ratier et de l'ACBD pour 2013. On y apprend plein de choses.


Les chiffres de la bd

3.892 nouveautés sont sorties dans l'année, parmi lesquelles environ 45% des titres sont des œuvres d'auteurs francophones, soit environ 1.750 albums.
1.678 auteurs francophones ont sorti au moins une BD dans l'année.

36.000.000 d'albums ont été vendus dans l'année. Si on estime à 45% les ventes des auteurs francophones, ça fait 16.200.000 albums. (ce chiffre englobant nouveautés, titres plus anciens, rééditions)
417.000.000 d'€, c'est le chiffre d'affaire de la BD pour l'année. Si on estime encore que 45% de ce chiffre est généré par des auteurs francophones, ça fait 187.650.000 d'€.

Notre travail a donc généré à peu près :
65.000.000 d'€ pour les libraires (et autres points de ventes BD)
39.000.000 d'€ pour les éditeurs
40.000.000 d'€ pour les diffuseurs et les distributeurs
16.000.000 d'€ pour les imprimeurs
10.000.000 d'€ pour l'état
(chiffres bien sûr un peu artificiels mais représentatifs au vu de la répartition généralement acceptée dans la chaine du livre)
Pas si mal pour des gens qui écrivent et dessinent des petits machins pour les enfants !

Ha ! J'allais oublier ! Les ventes d'albums en 2013 ont généré, à 9% de droits en moyenne (soyons fous !), environ 17.000.000 d'€ pour les auteurs.
Les auteurs concernés par ces ventes sont environ 2.000. Ils ont donc touché, en moyenne 8.500 € chacun. Brut. Pour l'année.

Vertige...

mercredi 11 juin 2014

Comment nait une histoire ?

Une histoire, la plupart du temps, c'est d'abord quelques mots, l'esquisse d'un personnage ou d'un décor, une image... Un petit rien, le plus souvent. Ou plutôt déjà un petit quelque chose.
Ce petit quelque chose, cette idée, il faut la laisser tourner dans la tête. Les idées sont fécondes : très vite elles font naître d'autres idées, d'autres images. Toutes ensemble, elle construisent peu à peu des personnages, font apparaître des décors, amènent des situations qui s'enchaînent et qui s'entraînent. 

La naissance d'une histoire, ce n'est pas de prestidigitation, il n'y a pas de truc. C'est de la magie...

L'exemple de "L'enfant sur la digue"

L'enfant sur la digue - Eric Wantiez, et Serge Elissalde - éditions Comme une Orange

Un matin, je me suis éveillé avec dans la tête l'image d'un enfant assis, les jambes pendantes au bout d'une digue, face à l'océan. Rien d'autre. Cette image m'a hanté pendant plusieurs jours. Qu'est-ce qu'il voulait que je raconte, cet enfant ? Quelle était son histoire ? Aucune idée...

J'ai laissé l'image tourner dans ma tête.

Elle aurait pu disparaître. Fausse piste. Ça arrive...
Mais elle est restée. Et peu à peu, elle s'est précisée, elle s'est enrichie.

Je l'ai mieux vu, cet enfant à l'air si triste. Et la grande ville au loin derrière lui. Et l'usine qui fumait là-bas. Un matin, l'enfant s'est mis à tousser, une toux déchirante.
Le personnage et le décor étaient là. Et quand une mystérieuse créature marine est venue parler à l'enfant, j'ai tout compris : je savais ce qu'il fallait que je raconte. L'enfant et la bête étrange m'avaient tout dit.

La magie avait agi. Ne restait qu'à prendre le stylo et à l'écrire, cette histoire. C'est le moins difficile. Dans la boite à outils de l'écriture, nous avons tous les mêmes outils, tous les mêmes mots. Il suffit de bien les choisir, de les poser bien à leur place.

J'ai écrit. Quand j'ai posé le point final, l'enfant sur la digue existait déjà. Les dessins de Serge lui ont donné une plus grande force, une autre dimension. Ils ont transformé l'émotion des mots, l'ont transcendée.

Il ne restait plus qu'à faire le livre.
Pour que vous puissiez à votre tour le découvrir, cet enfant qui, une nuit, était venu dans ma tête s'asseoir au bout d'une digue pour contempler l'immensité de l'océan. 


Lettre ouverte aux lecteurs.

A partir du 1° janvier 2016, nos charges sociales vont augmenter d'une façon extrêmement importante, sans aucune amélioration de la couverture sociale. Être auteur ce sera laisser 23% de son revenu en charges sociales. Comme un salarié, en gros.

Mais l'auteur n'est pas "comme un salarié".

L'auteur n'a pas de congés payés, pas de droits au chômage, pas de tickets restaurants, pas de mutuelle. En échange de ses 23% il n'a qu'une couverture sociale minimum, une future pension de retraite dérisoire et une retraite complémentaire qui, de l'aveu même de la caisse qui gère ça, est en moyenne de 1500 € par an.

L'auteur paye le loyer, l'électricité, le chauffage, l'assurance, la femme de ménage de son lieu de travail. Il paye son ordi, son imprimante, son scanner, ses photocopies; son accès internet, son téléphone pro, ses stylos, ses pinceaux, son bureau, sa chaise, la machine à café et les bouquins pour la documentation. Heureusement, il pourra royalement déduire 10% pour frais professionnels sur sa feuille d'impôts...

L'auteur trouve lui même son "employeur". Pour cela, il monte à ses frais des dossiers de présentation qu'il envoie à ses éditeurs préférés, à ses frais toujours. Les projets dont personne ne voudra auront demandé des mois de travail sans aucune rémunération et finiront dans un tiroir oublié ou à la corbeille. Il est de plus sans cesse à la merci de l'arrêt de sa série sans même qu'on lui ait donné une chance de s'imposer auprès des lecteurs, à cause d'un changement de directeur de collection, ou de politique éditoriale, ou de je ne sais quoi d'autre.

L'auteur un tant soit peu reconnu court les festivals pour y faire des dédicaces. Sans aucune rémunération, là encore. On l'invite, bien sûr, on le nourrit, on le loge et on lui paye les frais de déplacements sur les festivals, mais il ne touche rien pour les heures passées à signer ses œuvres.

En BD ou en livre jeunesse où il y a la plupart du temps 2 auteurs, le scénariste et le dessinateur auxquels il faut parfois ajouter le coloriste, l'auteur touche entre 4 et 5% de droits d'auteurs.
C'est pas beaucoup ! Sur une BD à 15 €, ça fait entre 0,60 et 0,75 €. Enlevons les charges sociales, ça donne entre 0,49 et 0,61 €. Pour atteindre le montant d'un smic, il doit donc vendre entre 1.851 et 2.304 livres par mois... Sur l'année entre 22.212 et 27.648 livres.
Et bien sur, sur ce smic, restent à retirer tous les frais des paragraphes 2 et 3 de cet article...

Voilà... Voilà pourquoi nous avons peur de mourir. Voilà pourquoi nous sommes en colère.
Nous ne savons pas quoi faire.
S'unir et agir ? Oui, mais nous sommes si peu nombreux ! Qui nous entendra ?
Changer de métier ? Mais c'est que nous l'aimons, ce métier, suffisamment pour le faire depuis des années en ne gagnant pas grand chose.
Diversifier nos activités ? Mais c'est que nous en faisons, des heures et qu'à part en inventant la journée de 30 heures, ce n'est pas vraiment possible.

Alors vous, les lecteurs, aidez nous à survivre.
Parce les livres, ça nous fait vibrer, rêver, rire, pleurer...
Vivre quoi...